L’énigmatique ferme du Bouleau à Brindas

par M. Paul Pelcé, Master 1 et 2 Histoire et Archéologie médiévales

Nous avons réalisé en 2017 une étude sur les maisons fortes sur la commune de Brindas (69), dont celle du Bouleau[1], pour le Service Régional d’Archéologie Auvergne-Rhône-Alpes.

Ce présent article sur la maison du Bouleau repose sur une approche historique et une approche archéologique.

  1. Approche historique
    1. Sources textuelles
      1. Sources manuscrites
      2. Documents privés
    2. Les sources iconographiques et photographiques
      1. Gravure de Tony Vibert
      2. Cartes postales
      3. Carte de Cassini
    3. Témoignage des propriétaires
    4. Synthèse des sources textuelles, iconographiques et photographiques
  2. Approche archéologique
    1. Présentation générale de la maison
      1. Bâtiment A (sud)
      2. Bâtiment B (nord)
    2. Analyse Carbone 14
    3. Synthèse
      1. Typologie des fermes des monts du lyonnais
      2. Une auberge au Bouleau à Brindas
  3. Conclusion
    1. Fortification
    2. Prospective
    3. Le mot de la fin
  4. Annexe : sources

Approche historique

Les sources textuelles

Les documents les plus anciens que nous ayons trouvés sont deux terriers [2].

On remarque sur le premier daté de 1651 la présence des deux bâtiments parallèles, et sur le deuxième de 1704, les mêmes bâtiments au tracé plus précis avec deux tourelles, et comme légendes :

– A Maison, et autres bâtiments pour le maitre
– B Maison pour le granger, écurie, grange et autres bâtiments
– tènement de terre, vigne, pré, maison et cour de Monsieur le Président Dugas
– Grand chemin tendant de Lion à Saint-Symphorien

Terriers 1651 & 1704 – ADR 10 G 2121

La maison A au nord et la maison B au sud forment une cour.

Ces documents nous informent que les deux maisons existent avant 1751, que les bâtiments avec tourelle sont présents en 1704, et qu’elles appartiennent au sieur Dugas.

Le deuxième document est l’inventaire du mobilier de Dugas Bois-Saint-Just, émigré, dans les domaines qu’il possède à Brindas, Thurins et Soucieu-en-Jarret, du 19 au 21 janvier 1793 [3].

Ce jourd’huy nous nous sommes transportés dans la paroisse de Brindas dans le domaine appartenant à Dugas de Bois Saint-Just, situé au Boullot, où étant, nous y avons trouvé Philippe Jaricot qui a dit qu’il était fermier du domaine.

Inventaire du mobilier de Dugas Bois-Saint-Just dans ses domaines de Brindas, Thurins et Soucieu-en-Jarret – 19-21 janvier 1793 – ADR 1 Q 316

Suit la liste des biens du fermier et du mobilier appartenant au domaine.

Le domaine appartient toujours au Dugas de-Bois-Saint-Just, seigneur de Bois-Saint-Just, Thurins, Savonost, Quinsonnas, Souzy, la Tour des Champs.

Sources manuscrites éditées

Une source [4] nous informe que Louis Dugas de Bois-Saint-Just décède le 25 mars 1666 à l’âge de 63 ans, et qu’il est le père le Louis Dugas de Bois-Saint-Just (1639-1728).

Emile Salomon [5], dans son ouvrage sur les châteaux du Lyonnais, donne l’état de la maison du Bouleau en 1936 :

Sur le territoire de Brindas et sur le chemin qui mène à Francheville, le château du Bouleau a gardé de son ancien aspect un portail fortifié que flanquent, à l’extrémité des deux ailes du château, des tourelles rondes au toit plat percées de curieuses ouvertures circulaires. Sur le portail on lit encore : 1666.

Les châteaux historiques du Lyonnais et du Beaujolais, Editeur Lafitte, Marseille, 1976, pp.191-192 

Suit une liste des Dugas de Bois-Saint-Just, du début du XVIIe jusqu’en 1820.

Le premier cité est Louis Dugas, écuyer, échevin du Lyon, le deuxième, fils du premier, est Louis Dugas, né en 1639, écuyer, seigneur de Bois-Saint-Just, ancien prévôt des marchands de Lyon.

On trouve dans les archives municipales de Brindas [6] l’acte de décès de Louis Thénard du 5 février 1738, enfant de deux mois en nourrice chez le granger de M. Dugas au Boulot. Le domaine appartient encore au Dugas à cette date.

Les écrits d’Emile Salomon doivent être pris avec précaution, nous n’avons pas retrouvé l’acte de décès du dit Louis Thénard.

Le dictionnaire illustré des communes du département du Rhône [7], apporte quelques précisions :

Au lieu-dit ‘’le Bouleau’’, on voit encore, transformé en ferme, une ancienne demeure seigneuriale, qui porte la date de 1666. Ses tours et créneaux la signalent seuls à l’attention.

Dictionnaire illustré des communes du Rhône, Rolland, EugèneEditeur Lyon Dizain, Storck, 1902, p. 80

Où pouvaient être les créneaux cités dans le dictionnaire illustré ?

Le pré-inventaire sur Thurins [8] nous donne des informations sur la famille Dugas.

Pierre Dugas greffier à Thurins, épouse en 1588 Jehanne du Champt, fille de Jehan du Champt, notaire royal et châtelain de Thurins, Rochefort, Soucieu et Brindas.

Pierre est le fils de Jehan Dugas, notaire royal à Thurins et à Lyon et greffier depuis 1555 de la baronnie de Rochefort.

En 1601, Jehan du Champt institut Pierre Dugas son héritier.

Descendant de Pierre Dugas, Louis Dugas, (1602-1666) qui fut échevin de Lyon les années 1658 et 1659, ce qui lui permet d’accéder à la noblesse. Son fils, Louis (1639-1728) fut également échevin de Lyon dans les années 1680 et 1681.

L’accès à la noblesse des Dugas se fait entre 1659 et 1666.

Dans deux de ses revues, l’association Le Vieux Brindas, parle d’une part de la maison-forte du Bouleau [9], et d’autre part du château du Bouleau [10].

Documents privés

Les archives de la famille Bissuel [11], nous donnent la liste des propriétaires du Bouleau depuis 1824 jusqu’à aujourd’hui. On y apprend qu’après la révolution le domaine a été découpé en trois. Le bâtiment résidentiel sud appartient en 1829 à Guillemette Rat, et le bâtiment nord lui-même coupé en deux est la propriété d’Antoine Rat en 1824 et de Benoite Rat en 1829.

Le bâtiment nord appartenait en 1862 à Pierre Rousset, puis aux Bissuel [12] en 1884

Les deux ailes ont été réunifiées par Claude Bissuel en 1966.

Les sources iconographiques et photographiques

Gravure de Tony Vibert

La gravure de Tony Vibert, peintre et graveur lyonnais (1832-1889) [13] montre deux tourelles, un mur reliant les deux bâtiments à l’est, un portail et une porte (Fig. 1) 

Fig. 1 – Gravure de Tony Vibert du Bouleau

Deux cartes postales du début XIXe s [14].

Sur la carte postale (Fig. 3) la maison est appelée Ferme du Bouleau.

Sur la carte postale (Fig. 2) la maison est appelée Château des tournelles : on devine une ouverture carrée ou rectangulaire en haut de la tourelle nord disparue ‘’orientée’‘ sud-ouest, et une ouverture au premier étage du bâtiment sud, proche de la tourelle ; Pourquoi observe t’on des cheminées sur les deux bâtiments ?

Fig. 2 – « Hameau du Bouleau – Château des Tournelles »
Sommet des tours percé de deux curieuses ouvertures circulaires
Fig. 3 – « Ferme du Bouleau »
Fig. 4 – Hautes portes

Le mur qui ferme les deux bâtiments, d’une hauteur estimé à plus de 4,5 m, est percé d’une porte cochère surmontée d’une bretêche et d’une porte piétonne toutes deux de grande hauteur (Fig 4).

Carte de Cassini

Sur la carte de Cassini (XVIIIe s), le Bouleau est un hameau

Le cadastre napoléonien de 1824 [15] montre les deux bâtiments avec leur tourelle (Fig. 5), mais aucune ferme à proximité immédiate.

Fig. 5 – Extrait du cadastre napoléonien de 1824

La carte IGN [16] indique que les sources du ruisseau le Bouleau sont principalement côté Chaponost mais aussi au sud de la maison du Bouleau.

Témoignage des propriétaires [17]

Ils savent par leur père Claude Bissuel [18] que la tourelle nord a été démolie en 1955 et que ses pierres ont été utilisées pour la construction du bâtiment à l’arrière de la maison dans l’angle nord-ouest, aujourd’hui transformé en appartement.

C’est lui qui a acheté à Péroline Rolland, le bâtiment sud en 1966 et qui a supprimé le mur de séparation est-ouest qui coupait la cour en deux. Le mur ouest qui fermait la cour à l’ouest était libre de construction, en dehors d’un petit bâtiment agricole appelé localement « chappi ».

Il y avait plusieurs puits dont deux dans la cour.

Le grand-père de Claude, Pierre Bissuel logeait dans la partie ouest du bâtiment nord.

Lors des travaux dans les années 1989/1990, la fondation réalisée pour l’implantation des piliers de la terrasse au sud a montré la présence d’un remblai d’un mètre environ. C’est dans ce remblai qu’a été trouvé le fragment d’écuelle.

Synthèse des sources textuelles, iconographiques et photographiques

La maison est nommée ferme, château des tournelles, château du Bouleau, maison-forte, ancienne demeure seigneuriale, ferme. Le statut de la maison n’est pas défini.

Les terriers nous permettent de savoir que les bâtiments existent en 1651 et qu’ils sont flanqués aux angles d’une tourelle en 1704 ; à cette même date il nous apprend que le bâtiment A (au nord) est pour le maître et que bâtiment B (au sud) est destinée à l’exploitation agricole et que le propriétaire est un Dugas.

Nous savons, grâce à l’inventaire de 1793, que le propriétaire du Boulot est Dugas-de-Bois-Saint-Just. On peut supposer que le domaine appartient au Dugas entre 1704 et 1793 ; mais avant la date de 1704 ?

Le premier Dugas qui accède à la noblesse est Louis (1602-1666), peu après sa charge d’échevin de Lyon en 1680-1682.

La date de 1666 sur le linteau du portail d’entrée est troublante, car elle correspond à celle du décès de Louis Dugas, l’ancêtre des Dugas qui a été anobli.

Les cartes postales du début du XIXème montrent une haute porte cochère protégé par une bretêche.

Approche archéologique

Observation : La maison forte du Bouleau a fait l’objet de travaux importants, dans un premier temps dans les années 1965, dans un deuxième temps dans les années 1989, puis au début des années 1990.

Du bâtiment sud, il ne reste que la cave et la tourelle qui n‘ont pas été aménagées, encore que les parements intérieurs de celle-ci aient été entièrement recouverts sur les niveaux 1 et 2.

Le rez-de-chaussée du bâtiment nord a été transformé en logement à l’ouest et en bureau à l’est ; il subsiste la partie centrale non aménagée, mais dans l’une des deux pièces servant d’écurie, les murs ont été recouverts de chaux empêchant la lecture du bâti.

Présentation générale de la maison

Le plan présente deux bâtiments parallèles de 9,0m de large x 21,4m de long chacun, séparant une cour de 10m de large.

La cour est ouverte en façade est ; des bâtiments (logements et écurie) datés principalement des années 1989/1990 viennent fermer l’ouest de la cour et entourent l’ouest et le nord du bâtiment nord.

Un escalier permet l’accès à une cave sous le bâtiment sud, un autre vers le logement.

Un escalier permet d’accéder au jardin sud et sous la terrasse. Le dénivelé est dû au creusement du propriétaire dans les années 1989 pour faire une porte d’accès au rez-de-chaussée.

Le bâtiment A (sud)

Le rez-de-chaussée du bâtiment A

Fig. 6 – Le rez-de-chaussée du bâtiment A

Le plan du rez-de-chaussée (Fig. 6) se présente comme un rectangle régulier de 21,7m x 8,2 m, dont l’épaisseur des murs, intérieurs et extérieurs est de 0,5-0,6m [19]

Le plan montre trois pièces de dimensions comparables, avec une tourelle sud-est accessible par la pièce (S1A).

Ce plan ne prend pas en compte les cloisons internes, réalisés lors des travaux à partir de 1970 [20]. Tous les murs internes sont recouverts d’enduit.

Deux placards à l’intérieur du mur nord semblent anciens ; bâtis en pierre jaune, ils ne peuvent pas être datés avant le XVIe s. Le placard (P2) est en grande partie caché ; le placard (P1), de 1,0m de large x 0,38m de profondeur et de 1,05 de haut, a gardé son aspect d’origine (Fig. 7).

Fig. 7 – Le placard P1
Fig. 8 – La pierre avec, en relief, « 1666 »

Dans une cloison non représentée, a été encastrée une pierre portant la date de 1666 (Fig. 8), que l’on dit provenir du linteau du portail d’entrée.

Dans l’angle sud-est, une porte permet d’accéder à la base de la tourelle.

D’un diamètre intérieur irrégulier de 1,80m, cette pièce ronde de 2,40m de haut est entièrement recouverte d’enduit blanc-gris à l’exception des meurtrières. Le sol est en terre battue.

L’intérêt de cette pièce est la présence de trois meurtrières réalisées en pierre de granite monobloc (non maçonnées). La base de l’archère se termine par une partie faiblement arrondie [21].

La base des meurtrières par rapport au sol est de 0,80m (nord-est), 0,85m (ouest) et 0,92m (sud -est)

Les meurtrières nord-est et sud-est ont un linteau en bois, la meurtrière ouest n’en a pas.

Fig. 9 – Archère sud-est
Fig. 10 – Archère nord-est
Fig. 11 – Archère ouest

Dans la pièce (S1B) de 6,25m x 7,05m on trouve également deux autres placards, l’un (P3) mesure 0,8m de largeur x 0,4m de profondeur, et l’autre (P4) mesure 0,5m x 0,4m de profondeur, mais, doublé à l’intérieur par du plâtre, nous n’avons les largeurs d’origine.

La pièce (S1C) de 6,6m x 7,05m ne laisse apparaître aucun vestige du bâtiment ancien.
Les murs deux intérieurs séparant les pièces S1A, S1B et S1C, étant entièrement recouverts, il n’est pas possible de savoir si des ouvertures existaient pour les relier entre-elles.

Le premier étage du bâtiment A

Le plan du premier étage est semblable à celui du rez-de-chaussée, un rectangle régulier de 2,7m x 8,2m.

Nous n’avons remarqué aucun vestige d’aménagements anciens.

Dans l’angle sud-est de la pièce, une porte permet d’accéder au premier étage de la tourelle.

D’un diamètre intérieur irrégulier de 1,80m, cette pièce ronde de 2,89m de haut est entièrement recouverte d’enduit blanc-gris identique à celui du rez-de-chaussée.

Une ouverture de 0,30m de large x 0,44m de haut, éclaire faiblement la pièce. Elle est protégée par un barreau de section carrée. La base de l’encadrement de l’ouverture est à 1,0m de la base de la pièce (Fig. 12).

Fig. 12 – Ouverture au 1er étage de la tourelle
Fig. 13 – Ouverture ronde

Le deuxième étage du bâtiment A 

L’accès au troisième niveau de la tourelle se fait par une trappe dans le plafond du deuxième niveau.

D’un diamètre intérieur irrégulier de 1,80m, cette pièce ronde d’une hauteur de 3,15m du sol à la surface inférieure des poutres de la toiture apparente, est la seule qui n’a pas été recouverte d’enduit. Le sol est recouvert de terre.

Trois ouvertures circulaires éclairent la pièce ; les diamètres varient de 0,16m à 0,19m dont le centre est à 1,10m environ du sol. Servaient-elles de surveillance et de défense en permettant de jeter des pierres par exemple ?

Au nord, on observe une ancienne ouverture bouchée par des parpaings, avec linteau en bois et piédroits en granite de 0,35m de large x 0,40m de haut (Fig. 14). Servait-elle d’accès ?

Le passage vers le grenier se fait par une ouverture récente sous une ancienne ouverture également bouchée par des parpaings.

Fig. 14 – Ouverture bouchée au nord
Fig. 15 – Accès au grenier
Fig. 16 Liaison tourelle-mur en pisé

La photo (Fig. 16), vue du grenier, montre nettement que les deux murs sont indépendants. Nous faisons l’hypothèse que le mur du bâtiment étant en pisé, celui-ci a été bâti sur le mur de la tourelle

Le grenier du bâtiment A (Fig.17)

Fig. 17 – 2ème étage de la tourelle et du grenier
Fig. 18 Une baie bouchée BB côté sud

Une baie bouchée (BB) est visible à l’est du mur sud (Fig. 18), et les vestiges d’un piédroit (V) laissent supposer la présence d’une ancienne ouverture

Certains murs du grenier en partie recouvert d’enduit, permettent de penser qu’il a pu servir de logement.

La cave du bâtiment A

Quatre marches permettent d’accéder à la cave depuis la cour.

Elle est constituée de deux volumes, l’un de 6,95m x 4,38m orienté nord-sud et l‘autre 1,45m x 0,45m dans l’angle nord-ouest orienté est-ouest. Ces deux caves voutées sont recouvertes d’enduit à la chaux ; celle orientée est-ouest semble avoir été bouchée.

Le mur nord montre qu’il y a eu une transformation de l‘ouverture : Présence d’un piédroit de 0,32m de large, d’une élévation en brique de 0,82m de haut et d’un espace chaotique au-dessus d’un glacis de 0,35m de large x 0,26m de haut (Fig. 19).

Fig. 19 – Une ancienne ouverture sur le mur nord de la cave

Les façades du bâtiment A

Les parements du bâtiment sud sont couverts d’enduit excepté dans la partie basse de l’angle sud-ouest qui montre de belles pierres de la chaîne d’angle visible face ouest.  La tourelle, surmontée d’une ‘’colonnette’’ en pierre, présente un plat au nord au-dessus du toit (Fig. 20), qui correspond à l’ouverture bouchée au nord.

Les trois archères sont taillées dans un bloc en granite ; celle du nord et du nord-est se termine en partie basse par une forme faiblement arrondie (Fig. 21) ; s’agit-il d’une archère canonnière ?

On constate un niveau de terre qui s’élève du nord à l’ouest au pied de la tourelle (Fig. 22).

Fig. 20 – Colonnette et plat
Fig. 21 – L’archère nord
Fig. 22 – Les trois archères par rapport au sol

Fig 23 – Archère meurtrière de la ferme Roman à Rontalon[22] (69)

Ce type d’archère canonnières est typique des XVIe s voire du XVIIe s, dans les monts du lyonnais, sont selon Marie-Pierre Feuillet [23],

En inspectant le parement de la tourelle, nous avons découvert un tuyau de plomb écrasé de 5cm, situé au nord à 2,78m du sol et à 0,45m du bord du mur de la maison. Il y avait-il un cabinet de toilette au premier étage de la tourelle ? 

Le bâtiment B (nord)

Le rez-de-chaussée du bâtiment B

Le plan du rez-de-chaussée (Fig. 24) se présente comme un rectangle régulier de 21,7m x 8,05m, dont l’épaisseur des murs extérieurs est de 0,5m.

Le plan montre trois pièces de dimensions inégales dont seule, celle de l’est (N1A), a été aménagée.  

De 7,05m de large x 6,25m de profondeur, les murs de la pièce (N1A) sont couverts d’enduit ce qui empêche la lecture des pierres.

Fig. 24 – Rez-de-chaussée du bâtiment B

La pièce (N1B) est de forme irrégulière, 7,0m de profondeur, 3,15m de largeur au sud, et 2,80m de largeur au nord.

Le mur de refend est en construction maçonnée sur 1,1-1,4m environ puis en pisé ; on observe deux colonnes superposées en remploi dont l‘axe est à 3,4m du mur sud, et la base à 0,5m du sol. Ces colonnes en granite servent de support à une poutre (Fig. 25).

Fig. 25 – Remploi de colonne
Fig. 26 – « vestige » de l’ancienne tourelle nord

L’encadrement de la baie (B) est en pierre jaune

La pièce (N1C) de 10,05m de profondeur et de 7,0m de large ne présente aucune particularité.

Le premier étage du bâtiment B

L’étage se divise en deux grandes pièces, le grenier à l’est, de 7,0m de profondeur et de 0,97m de largeur, et le grenier à l’ouest, que nous n‘avons pas pu visiter.

Le seul élément intéressant de cet étage est le changement de couleur dans l’angle nord-est ; cette partie a été réalisée après la démolition de la tourelle du bâtiment B (Fig. 27).

Les façades du bâtiment B

Seuls les murs sud, est et nord du bâtiment nord sont partiellement visibles

Fig. 27 – Façade sud du bâtiment B

La façade sud : Sur le dessin (Fig. 27) on trouve en bleu les ouvertures récentes, et en noir les ouvertures anciennes dont la baie (B) avec un encadrement en pierres jaunes et les deux grandes ouvertures à l’étage (O1) et (O2).  De 1,0m de large et de 1,8m de haut, la base de ces deux ouvertures est au niveau du plancher (ligne orange) ; on peut supposer qu’elles servaient d’accès à l’étage pour le stockage du foin par exemple.

On remarque six anneaux en fer présents sur la façade sud du bâtiment nord pour attacher des chevaux.

Les façades est et nord

Elles sont à la fois recouvertes d’un enduit et en grande partie envahies par des végétaux. On remarque une couleur beige sur toute la hauteur de l’angle nord-est, qui correspond à la reconstruction consécutive à la démolition de la tourelle nord (Fig. 28).

Fig. 28 – « Vestige » de la tourelle disparue

La façade ouest

Bâti sur le mur ouest du bâtiment nord un autre bâtiment à usage d’habitation aurait été construit avec les pierres de la tourelle nord [24].

Le lapidaire et les céramiques

Nous avons découvert sur la propriété plusieurs lapidaires en granite dont deux abreuvoirs dans la cour centrale, quatre colonnes et un fragment de pierre avec un canal central (Fig. 29).

Lors des travaux devant la maison au sud, le propriétaire a découvert un fragment d’écuelle à oreille incurvée datée du XVIIIe siècle (Fig. 30).

Fig. 29 – Pierre avec un canal central
Fig. 30 – Fragment d’écuelle

            

Analyse carbone 14

Des analyses par le radiocarbone [25] ont été faites en 2017 sur des échantillons de bois prélevés sur la poutre située au 1er étage de la tourelle (E1), sur le linteau du 2ème étage de la tourelle (E2) et sur une poutre au rez-de-chaussée du bâtiment B (E3).

Les résultats donnent pour le bois E1 un âge calibré de 1445-1632, pour le bois E2 un âge calibré de 1475-1641 et pour le bois E3 un âge calibré de 1642-1805 [26].

Ces dates donnent l’âge de la coupe des arbres dans lesquels ont été faits les poutres et le linteau. Sur la base de ces dates on peut proposer une construction de la fin du XVe s au XVIe s siècle pour la tourelle et entre fin XVIIe s et le milieu du XVIIIe s pour la poutre au rez-de-chaussée du bâtiment nord.

Poutre Bât. nord – Prélèvement pour analyse Carbone 14
Datation Carbone 14 des matériaux prélevés

Synthèse de l’étude archéologique

Il y a homogénéité entre des deux bâtiments sud (A) et nord (B) : mêmes dimensions, même épaisseur des murs, même hauteur. On peut raisonnablement supposer qu’ils sont bâtis à la même période, mais qu‘en est-il des tourelles ?

Le bâtiment sud montre trois pièces de mêmes dimensions au rez-de-chaussée comme au premier étage.

Les placards en pierre conservés au rez-de-chaussée indiquent clairement que celui-ci avait pour fonction l’habitat.

Ces pièces identiques au rez-de-chaussée comme à l’étage ne correspond pas à la typologie des fermes, ni même des maison-fortes.

On observe au rez-de-chaussée de la tourelle du bâtiment sud trois petites archères monobloc en granite. L’orientation des archères indique une protection du nord-est à l’ouest ; on peut supposer que la tourelle disparue protégeait de l’ouest au sud-est.

Les datations en C14 permettent de proposer une date de construction entre la fin du XVe s et le XVIe s.

Elles sont proches du sol, mais le remblai découvert par le propriétaire indique que le niveau était à un mètre environ en-dessous ; la céramique trouvée laisse penser que le remblai n’a pas eu lieu avant le XVIIIe s.

Zone de remblai

Y a-t-il eu un fossé alimenté par les sources du ruisseau le Bouleau ?

Un fossé ?
Un fossé ?

Au deuxième étage de la tourelle, sont conservées trois ouvertures rondes et on peut voir une ancienne ouverture bouchée qui se trouve au-dessus de la toiture. Les ouvertures rondes pouvaient assurer les fonctions de surveillance, de défense et d’éclairage, qu’elle était la fonction de l’ouverture carrée ? Un accès de l‘extérieur ?

Le trou réalisé au XXe s siècle dans le mur de la tourelle pour accéder au grenier montre clairement que le bâtiment en pisé à ce niveau est ‘’collé’’ sur la tour. Mais qu’en est-il des niveaux inférieurs en pierre ? Le grenier a-t-il été construit après les tourelles ? Ce dernier éclairé par au moins une baie n’avait-il pas une autre fonction ?

Les résultats de l’analyse par Carbone 14 des bois indiquent une construction de la tourelle au plus tôt à la fin XVe s plus certainement au XVIe s siècle.

Le morceau de plomb écrasé se situe au niveau de la partie basse du premier étage de la tourelle ; celui-ci a-t-il servi de cabinet de toilette aux XIXe s – XXe s siècles ?

Morceau de plomb

La cave sous le bâtiment sud montre des états antérieurs, sans pouvoir proposer des hypothèses sérieuses.

Le bâtiment nord montre qu’il a eu une fonction agricole avec une écurie au rez-de-chaussée et une réserve de fourrage à l’étage accessible par deux grandes ouvertures en façade.

Les résultats de l’analyse par carbone 14 du bois de la poutre au rez-de chaussée du bâtiment nord donne une datation entre le milieu du XVIIe s et la fin du XVIIIe s.

Les colonnes retrouvées sur le site et celles en remplois, servaient-elles de pilier à une galerie qui permettait d’accéder aux pièces du premier étage du bâtiment sud comme on trouve dans la plupart des fermes des monts du lyonnais ?

Typologie des fermes des monts du lyonnais

Selon une étude sur les fermes des monts du lyonnais [27] :

  • au XIXe s apparaît la ferme en U ou fermé par un « chapi » ;
  • au XVIIIe s les fermes sont en L à cour fermée ;
  • au XVII-XVIIIe s, ce sont des maisons à deux corps sans cour ;
  • et à la fin du XVIe s, début XVIIe s les maisons ont la forme d’un bloc à trois niveaux ;

Fig. 31 – XIXe s : Maison rurale en U
Fig. 32 – XVIIIe s : Maison rurale en L
Fig. 33 – XVII-XVIIIe s : Maison à 2 corps sans cour.
Fig. 34 – fin XVIe s, début XVIIe s : Maison en 1 bloc à 3 niveaux

Au XVe s, on parle de granges médiévales, propriétés des riches lyonnais, nobles ou bourgeois. Les bâtiments sont disposés autour d’une vaste cour fermée de + de 1000 m², avec un puits au centre et un unique portail souvent surmonté des mâchicoulis ; une tour d’angle dépasse des toits ; un pigeonnier ?

Fig. 35 – Les granges au XVe s : Une étonnante ressemblance avec la maison du Bouleau

Fig. 31 Les granges au XVe s : Une étonnante ressemblance avec la maison du Bouleau

Une auberge au Bouleau à Brindas

Un récit [28] qui retrace l’histoire vraie d’une troupe de brigands appelé les chauffeurs dans les années 1794-1803, situe une des scènes dans la maison du Bouleau :

… deux voyageurs commençaient à découvrir les toits d’une auberge à réputation équivoque, ancien château érigé avec le temps en cabaret…

Les vieux papiers d’un imprimeur, Vingtrinier Aymé, Lyon, 1859

L’un d’eux appelle la maison le Boulot.

Dans un roman [29] sur le même sujet on peut lire :

La grande salle du Boulot était pleine de paysans qui revenaient de la foire de Francheville. Les voûtes de l’ancienne maison forte, transformée en auberge, retentissait de bruits et de chansons.

Les chauffeurs des monts du lyonnais, J. Vingtrinier, Lyon, 1888, p. 38

Pierre Bissuel se souvient que son grand-père lui avait dit qu’il y avait une auberge dans la partie est du bâtiment nord.

Conclusion

Il n’y a plus de doute, la maison du Bouleau est une ancienne auberge, encore en activité début XVIIIe s.

Elle est située à 15 km de Lyon, au bord d’une grande route et proche d’une autre.

Sa haute porte cochère et haute porte piétonne permettent l’accès de cavaliers sur leurs chevaux et les voitures à cheval.

Il existait une taverne chauffée à l’est du rez-de-chaussée du bâtiment nord

Trois pièces au rez-de-chaussée et trois pièces à l’étage du bâtiment sud servant de chambres pour les plus aisés

L’ouest du bâtiment nord pouvait être l’écurie pour les chevaux, le 1er étage de réserve de foin et de couche pour les cochers

Nous datons les deux bâtiments avec leur tourelle de la fin du XVe s, courant XVIe s

Si le plus vraisemblable est que cette auberge fortifiée date du début XVIe s, on ne peut pas exclure une construction au XIVe s pendant la guerre de cent ans, suivi d’une reconstruction fin XVème début XVIème

Pourquoi l’auberge du Bouleau a été fortifiée ?

Le période fin XVes – début XVIe s est celle de la sortie du Moyen âge. Le château moderne de Brindas, transformé tout début XVIe s possède encore des éléments de défense dont un fossé

La typologie des granges au XV-XVIème montre des éléments de défense, dus sans doute à une insécurité majeure lié à plusieurs fléaux : Epidémie, guerre, locale, brigandage, disette et famine

Au bord d’une route, il faut se protéger dans des bâtiments à l’aspect fortifié

Le propriétaire est noble, il protège son bien de rapport en fortifiant son auberge ; protections autant réelles que dissuasives

Prospective

Il serait nécessaire, pour avancer dans l’hypothèse d’une ancienne auberge, de chercher des études sur les auberges médiévales et modernes – si elles existent – pour connaître leur typologie et peut-être apporter des réponses aux interrogations posées concernant l’auberge fortifiée du Bouleau.

Et si l’auberge du Bouleau était aussi un relai de poste secondaire ?

Les relais sont créés en 1464 pour l’acheminement des courriers royaux, puis à la disposition du public en 1506.

Louis XIII (XVIIème) nomme des maîtres de courrier pour améliorer le fonctionnement et lutter contre la concurrence déloyale.

Clin d’œil de l’histoire, la ferme du boulot est aujourd’hui une pension pour chevaux.

Le mot de la fin

Comme à l’époque antique, l’auberge du Bouleau est en bordure d’une voie  carrossable.
Parmi les plans, il existe plusieurs typologies dont celle de deux bâtiments avec cour intérieure reliés par un mur plein. Cas classique des auberges routières dans l’antiquité, il n’y a pas de raison que cela ait changé au cours du temps.
Forte probabilité que ces bâtiments soient une auberge routière. Le problème, toute époque confondue, est celui de les différencier d’une ferme.
Le carrefour de deux routes est choisi en priorité à l’époque Gallo-romaine. C’est le cas de la maison du Bouleau. Si l’on ajoute sa distance par rapport à Lyon, c’est un « plus » énorme pour supposer que la ferme du Bouleau soit une ancienne auberge.

Gaëlle Morillon

Annexe : sources

[1] Code opération PATRIARCHE : 2212579. Nous pensions alors que cette ferme était une maison-forte

[2] ADR 10 G 2121

[3] ADR 1 Q 316

[4] Correspondance littéraire et anecdotique entre Monsieur de Saint-Fonds et le Président Dugas, William Poidebard, Lyon, 1900

[5] Les châteaux historiques du Lyonnais et du Beaujolais, Editeur Lafitte, Marseille, 1976, pp.191-192 

[6] Archives municipales de Brindas série 1E

[7] Dictionnaire illustré des communes du Rhône, Rolland, Eugène, Editeur Lyon Dizain, Storck, 1902, p. 80

[8] Pré inventaire des monuments historiques et recherches artistiques, n° 28 Thurins, Lyon, 2000, pp. 95-99

[9] Chronique brindasienne, bulletin annuel 1982, p.8

[10] Chronique brindasienne, bulletin annuel 1984, p.9

[11] Copies d’actes de ventes en 1884 et 1911

[12] Nom de l’actuel propriétaire

[13] Archives du Vieux Brindas

[14] Archives du Vieux Brindas

[15] ADR 3P 30/1

[16] Carte IGN 3031OT mai 2016

[17] Pierre Bissuel, Christine Simonard, Charlotte Bissuel

[18] Claude Bissuel 19XX-5 mai 2005

[19] L’épaisseur des murs intérieurs s’est faite par calcul

[20] Un choix réalisé pour simplifier la lecture du bâtiment d’origine

[21] Cet arrondi se voit mieux de l’extérieur

[22] Araire n° 54 – 1983

[23] SRA Auvergne-Rhône Alpes

[24] Selon les actuels propriétaires

[25] Centre de datation par le radiocarbone, Lyon1

[26] Ces dates correspondent à la coupe des arbres

[27] La maison rurale, typologie des fermes des monts du lyonnais, PUL

[28] Les vieux papiers d’un imprimeur, Vingtrinier Aymé, Lyon, 1859

[29] Les chauffeurs des monts du lyonnais, J. Vingtrinier, Lyon, 1888, p. 38