Avant notre ère

Par Gaston Bensan [1984]

Cette rubrique est une retranscription de l’ouvrage « Chronique Brindasienne », édité en 1984 par l’association du Vieux Brindas. Certaines des recherches proposées ici ont pu faire l’objet d’une mise-à-jour par des travaux plus récents. N’hésitez pas à compléter votre lecture par d’autres articles sur le site du Vieux Brindas.

« Malgré invasions et guerres, il y avait à l’écart dans les bois, les montagnes, des petits coins assez isolés pour n’être subvertis ni par la force, ni par les nouveautés et se maintenir de génération en génération, indéfiniment semblables à eux-mêmes ».

Geneviève d’Harcourt – Archiviste-paléographe – La vie au Moyen-Age

D’une superficie de 1128 hectares, le territoire de Brindas (Briandas au Moyen-Âge), occupe une partie du plateau lyonnais entre les vallées profondes du Garon et de l’Yzeron, à l’altitude moyenne de 300 à 350m. Dominé par les Monts du Matin (façade Est des Monts du Lyonnais) le plateau était, 1000 ans avant notre ère, englobé dans le pays des Ségusiaves, peuple de la Gaule Celtique.

Brindas (Briandas) Garon, Izeron , sont des noms dont l’origine celtique est admise par tous les érudits. Le nom de Brindas désignait le mamelon qui sera le cœur du village actuel. La racine « bri », que l’on retrouve dans de nombreux noms de familles et de lieux en Bretagne, veut dire éminence ou élévation.

Avant notre ère

Il est hors de doute que cette partie du plateau lyonnais, parce qu’accidentée et d’accès très difficile, était peu fréquentée. La grande courbe de la rivière d’Yzeron (à l’époque abondante et torrenteuse), qui va du Nord-Ouest (actuellement le Pont Pinay) au Nord-Est (actuellement le Pont Chabrol) prolongée par le ruisseau de Chêne jusqu’au Pont de Chêne à l’entrée de Francheville, constituait une barrière protectrice du peuplement (château et masures) juché sur la hauteur.
Toute la partie Sud, la partie basse appelée la plaine de Brindas, zone humide, marécageuse, où se déversaient toutes les eaux de ruissellement des pentes environnantes, formait un fossé naturel. Les traces en sont encore visibles.
Malgré les drainages et les travaux d’assainissement, les « flaches » et « boutasses » y sont, de nos jours, nombreuses, et beaucoup de maisons isolées ou groupées dans les lotissements récents ont les « pieds dans l’eau ».
Territoire de pénétration difficile, il était naturellement à l’écart du réseau des chemins établi par les Ségusiaves. Les voies de circulation les plus proches du site de Brindas venaient de Condate, village gaulois établi au pied de la Croix-Rousse, bien avant Lugdunum, sur Fourvière. La première, prenant par le Sud-Ouest, passait par Allaï, Chaponost, le Pont d’Arthaud pour aller à Saint-Martin et Saint-Symphorien.
La seconde se dirigeait droit vers l’Ouest sur les Monts du Lyonnais par Alaï, Grézieu et le col de Saint-Bonnet.
Placé loin des routes et le sol lui-même n’offrant que de maigres ressources, ce secteur ne pouvait accueillir qu’une population de faible importance. De vastes étendues étaient en friche, couvertes de broussailles ou de bois, de hêtres et pins sylvestres prolongeant les forêts profondes de la « vallée noire » (Vaugneray).
Le témoignage subsiste de nos jours dans les nombreux noms de lieux :
Broussatières, Brochaillon, les Garennes, les Varennes, les Essarts, le Cailloux (Cailloux est un nom de lieu qui désigne d’ordinaire un endroit boisé. D’un radical celtique, cail, bois, forêt d’après Josse).

L’époque romaine

L’occupation romaine du territoire des Ségusiaves, n’a en rien modifié les caractéristiques du secteur brindasien.
Le réseau des chemins primitifs est resté le même avec les deux voies de circulation celtiques. Elles ont, certes, été aménagées, élargies, redressées et nous sont connues sous les noms de :

  • la voie romaine, de Lyon à Feurs par le Pont de Chêne et le Pont d’Arthaud;
  • la grande voie d’Aquitaine, passant par Grézieu et Pollionnay.

Le territoire de Brindas ne semble pas avoir présenté d’intérêt pour la colonisation romaine. Celle-ci s’est faite par étapes, marquées chacune par la construction des aqueducs alimentant Lugdunum. Ainsi, c’est seulement la construction du troisième aqueduc sous Claude, qui entraînera l’intégration de toute la vallée de la Brévenne et les flancs occidentaux des Monts du Lyonnais. De même, la construction, sous Hadrien, de l’aqueduc du Gier, du Pilat à Lugdunum, poussera à l’annexion du Forez Viennois.

« Brindas hors de France »

Rituellement le Comité des Fêtes de Brindas accueille les visiteurs de la Foire annuelle par une banderole portant l’inscription :

« Vous qui venez de France, soyez les bienvenus »

BANDEROLE Rituelle du Comité des Fêtes de Brindas accueille les visiteurs de la Foire annuelle

Cette formule est une résurgence d’un dicton inscrit dans la mémoire populaire depuis le haut moyen-âge et encore en usage de nos jours dans de nombreux foyers brindasiens et de la région :

« Brindas hors de France »

et en patois local :

« Eyo dia France »

Le sens en a été altéré et modifié au cours des siècles. L’imagination populaire a multiplié interprétations et légendes.

Certains affirment que pour entrer à Brindas, de quelque côté que l’on aborde le village, il fallait payer péage et passer par un pont. Il est vrai, le visiteur venant de Craponne traverse le Pont Chabrol, de Grézieu le Pont Jacquemet, de Francheville le Pont de Chêne, de Vaugneray le Pont Pilon, de Messimy le Pont Pinay, de Malataverne le Pont d’Arthaud. La route venant de Chaponost elle aussi couvre une buse où coule le maigre débit du ruisseau du Boulot. Un péage a bien existé au XIVe siècle aux abords de Malataverne, mais partout ailleurs, rivières et ruisseaux étaient franchis à gué ou -sur des troncs d’arbres. D’autres assuraient que Brindas échappait à l’impôt sur les allumettes, alors qu’il est établi que les Brindasiens s’approvisionnaient en allumettes de contrebande dont la vente et même la fabrication étaient de grande pratique dans la région. Une légende tout aussi fausse ou pleine d’humour, affirme que Brindas avait été oublié par les géographes qui dressèrent la première carte de France. Ni à la fin du XVIIe lorsque fut établie la carte du Gouvernement Général du Lyonnais, ni en 1760 lorsque fut exécutée la partie régionale de la célèbre carte. dite « de Cassini », Brindas n’a été rayé de la carte.

Alors quelle signification donner à ce dicton « Brindas hors de France » ? Les spécialistes sont d’accord pour situer au milieu du XIIIe siècle, dans une période de grands défrichements, la création, dans la plupart des régions de France, d’exploitations et de domaines de hobereaux installés assez à l’écart des communautés villageoises.

À Brindas, c’est sur le territoire des Hotteaux qu’à la même époque se produit un fait de même nature. Le territoire des Hotteaux couvrait environ 70 hectares, placés aux confins du finage, loin des lieux habités et des châteaux environnants de Brindas, Chaponost, Francheville, et Grézieu. Un parchemin daté du 7 septembre 1287 nous apprend qu’en 1286 un sieur Barthélemy de Polliac édifia une maison forte sur le territoire des « Ottaux ».

Écusson et armoiries du roi de France avaient été apposés sur cette maison, placée ainsi sous la garde du roi.

Or dans cette région de l’Ouest Lyonnais où les fluctuations des limites administratives et judiciaires, où les luttes entre les rois et les comtes, entre les Comtes Archevêques de Lyon et les Comtes du Forez furent nombreuses, une frontière resta à peu près fixe, celle du diocèse de Lyon et les chanoines du Chapitre de Lyon étaient Seigneurs de Brindas. Le diocèse de Lyon était séparé du royaume depuis plusieurs siècles. Son rattachement à la couronne de France ne sera réalisé que par le traité du 10 avril 1312 (Philippe le Bel) qui mit fin au gouvernement des archevêques.

La tentative du Sieur Barthélemy entraîna l’intervention immédiate des chanoines de Lyon.

Le procès à peine engagé Barthélemy s’inclinait. Une transaction stipulait
la reconnaissance que le territoire des Ottaux dépendait de la seule juridiction des Chanoines Comtes de Lyon . Barthélemy acceptait de payer au Seigneur sacristain de Brindas la dîme sur les fruits et les animaux, retard y compris.

Barthélemy était autorisé à parachever la construction en cours pour l’habitation et en ne lui donnant ni allure de forteresse ni moyens de défense. En outre il s’engageait à ôter les armoiries du Roy de France.

Ainsi il était reconnu que Les Ottaux, comme le territoire de Brindas dont ils dépendaient n’étaient pas domaine du Roy.

Étant hors du royaume, Brindas était hors de France.

Le Moyen-Âge

Même après la période des grands défrichements et la création de vastes terrains pour l’élevage (La Praz), le peuplement demeura restreint et très dispersé, l’économie fermée et de simple subsistance, et les échanges avec l’extérieur très faibles. Ceci peut expliquer le fait que Brindas ait conservé son toponyme primitif, à la différence des groupements de population voisins qui ont ou pris le nom du fondateur romain d’un domaine d’exploitation (ex. Messimy) ou joint à leur nom latin celui de leur patron chrétien (Saint-Laurent-d’Agny). A cette époque il existait déjà une seigneurie à Brindas, et bien entendu une sorte de château, plus maison forte que château, pour en assurer la défense.

Ce château féodal sera détruit au XVe siècle. Le fait saillant noté avant la seconde moitié du XVIe siècle est la reconstruction complète du château par son seigneur mansionnaire Claude Talaru Chalmazel.

Salomon (*) le décrit ainsi :

« C’était alors un vaste bâtiment rectangulaire flanqué à chaque angle d’imposantes tours rondes (ajoutons, entouré de fossés dont la dernière partie à l’angle sud-est et qui était désignée sous le nom « des Terreaux » a définitivement été comblée au début de ce siècle (G.B.) dont il ne subsiste plus que celle du Nord-Est.
Dans la tour ronde se trouve une superbe cheminée Renaissance soutenue par des chapiteaux délicatement moulurés. Le manteau porte le blason des Talaru : parti d’or et d’azur, à la cotice de gueules brochante.
Ce même blason se retrouve sur l’accolade de la porte qui conduit de la Tour à la Salle actuelle du Conseil Municipal.
À l’extrémité Sud-Ouest, l’escalier à vis, en pierre de taille, dessert les différents étages du château. »

Les Châteaux historiques du Lyonnais et du Beaujolais.

Escalier à vis (Reste; du château) – Accès par la Placette des Ormeaux
(Photo Michael Hughes)

On ne sait pratiquement rien de la vie que menaient les habitants à cette époque, sinon qu’en raison de l’isolement inscrit dans la géographie, la terre était le seul moyen de subsistance. Certes, la paroisse était organisée depuis longtemps. Le baron de Raverat dans ses « Promenades autour de Lyon », rapporte qu’un acte du Xe siècle fit cession de Brindas à l’Abbaye de Savigny.
Mais l’écrit connu le plus ancien est aux Archives Départementales. Datant de 1225 il donne la liste des paroisses, et parmi elles celle de Brindas dépendant du Prieuré de Saint-Irénée.

L’Eglise de Brindas, avec son annexe de Messimy, avait à sa tête le curé, les recteurs et les luminiers qui se succédaient dans les mêmes familles de père en fils. Si les rentes et les donations à l’église étaient nombreuses comme on peut le voir dans les testaments de l’époque elles étaient très minces et n’assuraient pas aux desservants un revenu suffisant. Les plaintes du curé motivées par sa situation précaire, et celles de son vicaire de Messimy étaient fréquentes.

Distincte de la paroisse, la communauté d’habitants, ce lien de la solidarité paysanne, avait son syndic et ses membres responsables. Les réunions se tenaient sur l’ancienne place de l’Eglise (le porche actuel de l’édifice) convoquées après vêpres, au son de la cloche. On réglait sur place la vie de la communauté, entretien des chemins, événements locaux, la dîme, etc…

Le village au XVIIIe siècle

Nous possédons une meilleure information sur la vie du village au XVIIIe. Pendant tout le siècle, les choses demeureront sans changement aussi bien dans les rapports de propriété de la terre, que dans les rapports sociaux et partant dans les mentalités.

Les habitants à 95% s’adonnaient à la culture et à l’élevage. La vigne tenait une grande place dans toutes les parties du village. Les produits de la terre assuraient l’autosubsistance. Le peu d’argent entrant dans les foyers provenait de la vente de l’excédent de vin et aussi de la pension perçue pour les enfants pris en nourrice. L’échange de services et de produits dominait. Le travail salarié était très rare pour ne pas dire inconnu, même pour les journaliers et domestiques nourris et logés chez le maître employeur.

Il y avait deux catégories de paysans :

  • les laboureurs, petits exploitants possesseurs de lopins de terre ou de terres en censive
  • et les grangiers ou fermiers, tenanciers de grands domaines dont les propriétaires, les Chanoines du Chapitre, les nobles et les bourgeois habitaient Lyon et quelque-uns le Bugey. Le grangier avait parfois sa propre terre à cultiver.

Les domaines étaient nombreux:

  • au Boulot (à M. Dugas) ; à la Pillardière (à Mme des Champs) ; à la Grange
  • du Plan et au Clos (à M. Dougny) ; à la Joanna (à M. Doncin) ; la Grange
  • des Andrés (à Saconay) ; aux Brosses et au Plaisir (acquis par Guigou à Saconay) ; Granges de Saconay ou Savonost (à M. Dounis).

Un texte de 1788 précise qu’il y avait

« 100 habitants chefs de foyers propriétaires, 25 fermiers et grangiers, que toutes les fermes et granges sont tenues par les habitants à 1 exception de 4 fermes qui sont tenues par des fermiers étrangers qui n’ont point d autres domiciles dans la paroisse ».

Un texte de 1788

Les artisans étaient en petit nombre. Il exerçaient, sans pour autant abandonner, eux et leur famille, le travail de la terre, les activités les plus indispensables à la vie locale. Des documents divers nous font rencontrer :

  • le maistre-masson Barthélemy Bodard en 1715 ou Jean Berticat en 1744 ;
  • le masson et charpentier René Louis Neyrin en 1740 ;
  • le maistre-serrurier Claude Brazier en 1706 ;
  • les benniers ou tonneliers Antoine Guichard en 1727 et toute une lignée de Collomb à la Croix des Rameaux et au Gourd ;
  • un marchand et maistre-tailleur en 1744, Jean-Louis Mercieux ;
  • le maréchal-ferrant Pierre Melay ;
  • Jacques Brun n’ouvrira un cabaret qu’en 1763 et se dira « obergiste » en 179 1.

Les cordonniers

Les cordonniers, 6 à 9 selon les périodes, représentaient la branche artisanale dominante. Ils travaillaient aussi, et souvent à façon pour les villages voisins. Des familles entières, les fils succédant au père, ou le gendre ou le cousin, étaient occupées à ce travail et à tous les degrés : apprenti ou garçon cordonnier, marchand cordonnier, maître-cordonnier.

La lignée des Farges, cinq générations, traverse tout le siècle à partir de 1692, jusqu’en 1799 et il y aura encore un Farges exerçant en 1827. Celle des Benoït a exercé le métier le siècle durant. Il y avait Benoît l’aîné, Benoît le cadet, le fils, le jeune, Benoît dit Blaize. Ils habitaient aux Places, à la Croix des Rameaux, à la Quinsonnière.

Les Pitiot étaient là en 1706, 1714, 1724.

Il faut ajouter les noms de Pierre Morellon en 1728, Pierre Marignier en 1792 et préciser que des liens de parenté unissaient ces diverses familles.

L’habitation

Nous pouvons avoir une certaine vue sur l’habitation et le mobilier. La maison moyenne comprenait, en général, un bas (rez-de-chaussée) donnant sur une cour ou suel et un haut (premier étage) avec une ou deux chambres et on y accédait de la cour par des degrés de pierre.

Elle était construite en pisé, sur soubassement de pierres, couverte de charpente et tuiles. Les portes et fenêtres étaient encadrées de dalles de granit, qui soutenaient le linteau de poutre mal équarrie.

Selon l’importance de l’exploitation, il y avait, bâtiments attenant ou séparés, une étable avec crèches et rateliers, une fenière, un chapit, pour le bois ou pour abriter tombereaux et chars, une grange, un cellier avec cuve, tonneaux et barreilles.

L’indispensable puits était dans la cour parfois servant à deux maisons mitoyennes.

La verchère, ou jardin potager, était à proximité du logis.

Le mobilier était de chêne ou de noyer, surtout de noyer. À cette époque, le noyer était abondant. Plantés le long des haies, il y avait une vingtaine d’arbres par ferme. On en tirait l’huile pour la consommation et pour le paiement des rentes faites au luminaire de l’Eglise.

De nombreux testaments donnent le détail du mobilier utile servant dans la plupart des habitations de Brindas : une grande table et deux bancs pour la cuisine, parfois des chaises de paille, la huche, un garde-manger à deux portes, ou un dressoir simple ou un dressoir de vaisselle avec deux tiroirs son dessus servant d’armoire. Dans les chambres, les bois de lit, parfois une garde robe (certaines à quatre portes) et surtout les coffres. Les coffres, selon l’usage étaient faits en sapin, en chêne et surtout en bois de noyer.

Les coffres étaient le meuble essentiel, dont on se servait le plus (1) pour ranger les « nippes » et les « hardes ». Le coffre constituait la dot minimum de l’épouse la plus démunie, même s’il devait être acquis à crédit, déjà !

Les sentiments religieux de cette population besogneuse et impécunieuse étaient très profonds. Le curé vivait au milieu d’elle, menait la même vie avec les mêmes soucis matériels (2).

(1) A Lyon, des « maistres coffriers » étaient les spécialistes de cette fabrication.
(2) Voir  » Les curés de Brindas », page 33

Les bouleversements de la société

Tous les historiens font débuter le bouleversement lent et profond des rapports sociaux en France à partir de 1750. Au XVIIIe, dans cette société brindasienne « immobile » repliée sur elle-même, les premiers remous ne se feront sentir qu’en 1769. Les événements comme la destruction du château féodal, ou l’opposition à l’érection d’un pilori au XVIe étaient lointains même s’ils restaient dans les mémoires.

Vingt ans avant la Révolution, un acte « requis et octroyé » par le notaire royal marquant ainsi plus de solennité à la protestation, était établi sous l’impulsion de René Louis Neyrin et dans la maison de ce maçon charpentier et paysan, originaire de Chaponost (1). Cet acte dressait les « doléances des laboureurs brindasiens en ces termes » (2) :

Charles Demasso, Marquis de la Ferrière, Lieutenant Général des armées du Roy, ancien Lieutenant des Gardes du Corps de sa majesté, Chevalier de l’ordre Royal militaire de Saint-Louis, Sénéchal de Lyon, faisons savoir que :

Ce jourd’huy sixième aout mil sept cent soixante neuf, sur les trois heures de Relevé à l’issue de vespre de la paroisse de Brindas, le peuple sortant en grand nombre, et en conséquence de l’ordonnance de Monseigneur l’Intendant de la Ville et Généralité de Lyon en datte du huit Juillet dernier signé Defflessel, qui ordonne aux habitants de la ditte paroisse de Brindas de s’assembler en la forme, la manière accoutumés
pour délibérer tant sur la nécessité des Réparations du presbitaire de la ditte paroisse que sur les moyens d’en acquitter la dépense et être la ditte délibération à nous rapporté, pour être ordonné ce qu’il apartiendra.

Les dits habitants pour satisfaire et se conformer à la ditte ordonnance se sont assemblés à la forme ordinaire dans la place publique dudit Brindas et se sont retirés dans la Maison de René Louis Neyrin habitant du dit Brindas pour faire la ditte délibération.

Par devant le Notaire Royal en la Sénéchaussée de Lyon sous-signé sont comparus Antoine Benoît habitant et sindic de la ditte Communauté, Pierre Juttet premier Consul en Charge de la présente année, Claude Guillon, Fleury Boyriven, Ennemond Chazottier, Antoine Benoît l’aîné,
Etienne Benoît, Antoine Cazot, Jean Corday, Pierre Boucher, Jean Delorme, Jean Guillon, Fleury Daguin, Jacques Joseph Marignier et Pierre Rivière tous habitant et composant la plus seine et majeure partie de la Communauté d’habitants de la ditte paroisse de Brindas, lesquels après avoir pris Lecture du procès-verbal de visite du dit presbitaire en datte du vingt six Juin dernier fait en conséquence de l’exécution de l’ordonnance de M. Bruyas Subdélégué en datte du dix Janvier, et ensuitte de celle de Monseigneur l’Intendant du Treise mars dernier, ont tous et unanimement dis et délibéré en se conformant aux ordonnances de Monseigneur
l’Intendant que toutes les Réparations contenues dans le susdit
procès-verbal ne sont pas absolument nécessaires, que pour les plus urgentes ils font offre et s’engagent de payer aux Entrepreneurs des dites réparations la somme de cent livres, qu’ils sont dans l’impossibilité de pouvoir fournir à une plus grande dépence, attendu qu’il leur reste encore une somme considérable à payer sur le dit presbitaire, que l’année dernière ils firent construire une Ecurie au presbitaire qui leur a coûté considérablement, qu’ils sont d’ailleurs surchargés d’impôts, que depuis plusieurs années les récoltes ont manqué dans la ditte parroisse, que la gresle a emporté cette année la moitie de la Récolte de Blé et du vin, et enfin qu’ils sont réduis à la dernière misère.

De laquelle délibération les susdits Sindic, Consuls et habitants ont requis acte qui leur a été octroyé par le Notaire Royal soussigné.

Fait au dit Brindas, maison sus ditte de René Louis Neyrin situé au lieu de la place près le Bourg du dit lieu.

ACTE « REQUIS ET OCTROYÉ » PAR LE NOTAIRE
ROYAL, établi sous l’impulsion de René Louis Neyrin, dressant les « doléances des laboureurs brindasiens (VINGT ANS AVANT LA RÉVOLUTION)

René Louis Neyrin et son gendre Antoine Cazot feront les frais de cette initiative téméraire. Ils seront par la suite tenus à l’écart de la communauté d’habitants.

Toutefois, cette expérience de l’action collective et de démocratie locale pour éphémère qu’elle fut n’a pas été inutile. La communauté continua à jouer son rôle à côté de celui de la paroisse.

Lorsque l’autorité royale procéda en 1788 à la nomination de la première municipalité de Brindas il n’y eut qu’un changement de nom, les responsables de la communauté administraient les affaires communales conservant à leur tête Jacques Brun le syndic, le même qui avait été député désigné en 1787.

La mise en place des institutions nouvelles se fit donc aisément et l’élection de la Municipalité en 1790 se fit sans difficulté apparente malgré un certain mécontentement d’une partie de la population. Rappelons qu’à la veille de la Révolution il y avait à Brindas une centaine de laboureurs-exploitants et 25 grangiers.

Le régime ancien de la propriété étant brisé, les exploitants directs en étaient bénéficiaires, libérés des anciennes redevances (dîmes, cens ou servis) alors que par le maintien du métayage les grangiers restaient toujours dépendant des propriétaires, nobles et bourgeois et s’estimaient écartés des bienfaits de la Révolution.

Brindas-sur-Roche

Les difficultés les plus sérieuses apparurent au moment de la Convention lorsque les noms des saints furent bannis et que Brindas ainsi que d’autres localités de la région se virent imposer un nouveau nom :

  • Saint-Genis-Laval changé en Genis-le-Patriote était centre du district,
  • Saint-Martin-en-Haut, Martin-l’Espérance,
  • Saint-Symphorien-Ie-Chatel, Chausse Armée,
  • Sainte-Foy-I’ Argentière, Foy-sur-Brévenne,
  • Saint-Genis-Ies-Ollières, Les Ollières

Certaines localités pourtant dépourvues du parrainage d’un saint virent égaIement leur nom transformé. Ainsi Thurins devint, par ferveur patriotique sans doute, Thurins-le-Français, et Brindas plus prosaïquement traité, se vit octroyer le nom de Brindas-sur-Roche. Le fait est certain, les Brindasiens boudèrent le nouveau nom. Les documents municipaux ne mentionnent Brindas-sur-Roche que dans la courte période de juillet à septembre 1794, où la Terreur atteignait son paroxysme. Pourtant le nouveau nom, rappelait presque à la lettre la description que les habitants eux-mêmes avaient faite de leur terroir. Répondant en 1788 à l’enquête de l’Assemblée Départementale de l’élection de Lyon, la municipalité de Brindas affirmait, au sujet de la nature des fonds :

« II y a un petit nombre de bicherées de 1re classe, le surplus des fonds de la paroisse n’est que sables et sur roche, et par conséquent de très faible valeur. »

On peut comprendre la réticence des Brindasiens envers le nouveau vocable, il était équivoque. Brindas-sur-Roche pouvait à la fois s’appliquer au village isolé, à l’écart sur son monticule, ou viser la vie en marge de ses habitants. Il pouvait être perçu comme un avertissement : avancer l’argument de faible rendement de la terre pour voir les impôts et taxes allégés était une pratique courante et excusable sous la monarchie, mais sujet à caution sous la République. Rien de surprenant si, à la différence des habitants des localités voisines plus dociles, les Brindasiens aient réagi à ce qu’ils pouvaient considérer être dicté par la malveillance et la dérision.

Le grand attachement de la population à la religion avait aussi créé une vive opposition aux mesures prises par la Révolution : entraves à l’exercice du culte, persécution des prêtres, désaffectation de l’Eglise. Il y eut bien, au début de l’an II certaines exactions : vitraux de l’église fracassés, autels renversés, meubles et armoires saccagés, mais ce n’était que le fait d’un petit nombre. Les anciens fabriciens et François Boyriven, recteur en fonction depuis le 1er mars 1789, surent mettre à l’abri des linges et ornements de l’Eglise. L’Eglise, devenue Temple de la Raison d’abord et ensuite Temple de l’Eternel servait aux réunions décadaires (selon le calendrier républicain) qui prenaient un caractère coercitif :

« On y faisait lecture des décrets de la Convention Nationale et des arrêtés des Corps Administratifs afin que personne n’en prétende cause d’ignorance »

Les vieilles rancunes atténuées ou oubliées, la population, unité refaite, manifestait chaque fois que possible, sa ferveur religieuse. Lorsqu’en l’an IV il y eut un court répit aux persécutions, les linges et ornements du culte appartenant à la Fabrique furent, cette fois officiellement confiés et pris en charge par trois fabriciens, les bancs et les meubles inventoriés et une souscription publique pour leur restauration recueillit la somme énorme pour l’époque de 3.846 Francs et 10 sous. La Révolution, même si elle avait gêné les Brindasiens dans la pratique religieuse n’avait en rien affecté leur foi ni l’emprise spirituelle exercée par l’Eglise. Les persécutions recommencèrent, sous le Directoire. après le 18 Fructidor 1795, et il a fallu attendre le Concordat de 1801 mis en vigueur en août 1802 pour que le Conseil Municipal de Brindas puisse proclamer :

« Qu’ainsi disparaissent tous les éléments de désordre et tous les obstacles que la malveillance pouvait opposer au retour de la paix intérieure » .

Tableau de répartition du terroir brindasien

1897 Réponse à l’enquête de l’Intendant d’Herbigny

Seigle et quelque peu de froment2.000 bicherées260 hectares
Vigne 1.000 journées d’homme43 hectares
Prairie 200 journées d’homme85 hectares
Bois 200 bicherées26 hectares
Total 414 hectares
1897 Réponse à l’enquête de l’Intendant d’Herbigny

1803 Réponse à l’enquête du Conseil de Commerce de Lyon


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