L’art et la manière de partager l’eau

par Roland Fabre [1984]

Cette rubrique est une retranscription de l’ouvrage « Chronique Brindasienne », édité en 1984 par l’association du Vieux Brindas. Certaines des recherches proposées ici ont pu faire l’objet d’une mise-à-jour par des travaux plus récents. N’hésitez pas à compléter votre lecture par d’autres articles sur le site du Vieux Brindas.

L’eau courante a fait son apparition à Brindas à partir de 1926 par l’intermédiaire du Syndicat Intercommunal des Eaux du Garon qui regroupait Thurins, Soucieu-en-Jarrest, Messimy, Brindas et Grézieu-la-Varenne.

Avant d’arriver dans la plupart des foyers de notre commune l’eau était considérée par les habitants comme une matière quasi précieuse et elle faisait l’objet d’attentions, d’exploitations rigoureuses, précises, voire tatillonnes.
De tout temps, l’eau a été au centre des relations entre particuliers, ou entre individus et collectivités, dans les moments importants de la vie des propriétés: vente et achats bien sûr, mais également à l’occasion des successions et des héritages. Les habitants privilégiés disposant d’une source ou d’un puits devaient en contre partie accepter la servitude pour un parent, un copropriétaire, un voisin parfois, selon des procédures d’une précision qui laisse songeur en 1984. La lecture d’actes de vente, de contrats de succession, est révélatrice de cette rigueur tatillonne. Cette précision était caractéristique d’un bien précieux et rare, au cœur de la vie des hommes et des animaux, capital pour les cultures et certaines activités artisanales.

Quelques exemples de la place de l’eau dans les relations entre particuliers

La lecture des documents anciens relatifs au transfert de propriété entre particuliers est intéressante et instructive à cet égard. Observons à travers quelques exemples comment se gérait l’utilisation de l’eau au 19e siècle.

Partage du Domaine des « otteaux » (1807)

« Il est convenu expressement entre les parties pour la conduite des eaux :
Savoir: que le fossé qui borde le grand chemin tendant de Lyon à Rontalon d’un côté et de l’autre des terres dites sur le Bois Quarré et le Bois de la Molly, et celle dite de la Lende et qui dégorge dans le fossé marqué sur le plan, qui sépare la dernière terre d’avec la terre sur le bois de la Lende, convenu que les deux fossés resteront toujours ouvert et que les eaux qui en découlent appartiendront en entier à M.S …. qui en disposera à son gré, soit pour l’arrosage de ses autres fonds, et que M.P … . ou ses ayants-cause, sous aucun prétexte et de quelle manière que ce puisse être, ne pourra détourner les eaux des dits fossés, c’est-à-dire celui qui borde le grand chemin ne pourra: pas être continuité sans Interruption au-dessus de la terre sur le Bois de la Lende, de manière que les eaux devront toujours arriver dans le fossé marqué sur le plan et qui sépare ainsi qu’il est dit ci-dessous la terre de la Lende d’avec elle dite sur le Bois de la Lende.
M.S .. :. aura la faculté de faire repurger les dits fossés toutes les fois qu’il le jugera nécessaire à se faire.
Il est également convenu que M.S …. aura la faculté de conduire dans son pré la Lende les eaux qu’il pourra se procurer par le fossé qui sépare le Bois Quarré aujourd’hui défriché de la digue du Pigeonnier; à cet effet le dit fossé restera toujours ouvert; les dites eaux traverseront le chemin du Pigeonnier pour arriver dans les fossés de la Vigne de Monsieur, et pour celà M.S.: .. fera creuser le chemin et l’extrémité du dit fossé assez profondément pour établir au-dessus un aqueduc en bois pour conduire les eaux du fossé qui est au couchant de la terre du défrichement dans le fossé qui est du même côté de la Vigne du Pigeonnier, lesquelles eaux sont réservées à M.P … « .
« Il est aussi convenu que M.S …. aura la faculté de conduire dans son pré la Lende, toutes les eaux qu’il voudra par le fossé qui sépare la terre de l’allée du chemin qui conduit au Pré Moulin, duquel fossé il pourra conduire les eaux dans le fossé actuellement ouvert dans la vigne du Clos pour les dites eaux venir dégorger dans le pré la Lende au moyen d’un aqueduc qui portera les eaux en traversant le fossé qui est au midi du dit Clos, sans gêner le passage des eaux qui coulent dans ce dernier fossé, et qui sont réservées à M. P …. « .

Ces dispositions rigoureuses où chaque possibilité est examinée avec soin, où chaque partie connaît ses droits et ses devoirs, faisaient partie intégrante du partage. Elles en constituaient la condition « expresse et de rigueur ».

Partage entre deux frères Fleury et Claude le 22 juin 1806

« Dans le partage, F. dispose de la cour, mais permettra le passage du côté du midy et le long du mur, à talon, d’une benne pleine d’eau, laquelle du dit puy pour le passage sera en dehors » … La poulie sera commune, chacun se servira de sa corde, l’entretien se fera à frais communs » …

Partage entre deux frères Fleury et Claude le 22 juin 1806

Tout est prévu, y compris la largeur du passage (à talon) et le fait que la benne débordera de cette dimension !

Vente d’une maison d’angle, rue du Vieux Bourg, chemin de la traverse, le 22 mai 1827

Le document prévoit que l’acquéreur

« aura la faculté de recueillir les eaux pluviales qui coulent dans le chemin en face du fonds réservé, et d’établir un petit fossé au-dedans de la haie qui le borde du côté du chemin. Ce petit fossé sera entretenu par le vendeur qui s’il souhaite profiter des dites eaux à leur passage dans son fonds en établissant une boutasse, devra les rendre à l’acquéreur. La prise étant située à deux mètres au-dessus de la dite pièce d’eau en allant du côté d’occident le long du chemin ».

Vente d’une maison d’angle, rue du Vieux Bourg, chemin de la traverse, le 22 mai 1827

Vente d’un pré sur le territoire de la Quinsonnière – 19 pluviose XI (8 février 1903)

Dans le cas présent, le contrat définit les jours de la semaine où la prise d’eau amont sera attribuée. La jouissance allant de manière alternative entre le vendeur, Philippe Collomb, tonnelier de son état et qui possède une pièce joignante « au soir », et l’acquéreur François Benoît, cultivateur et déjà propriétaire du pré situé au nord (bize). Le partage est fait par tranches alternées de 36 heures. Le souci d’équité entraînant parfois une organisation un peu obscure…

Relations individus-collectivités communales

Elles ne sont pas toujours harmonieuses et concrétisent fréquemment un rapport de force à l’avantage de l’une ou. de l’autre des parties.

La Source du Buyat

Sous l’Ancien Régime, le 25 juin 1641, le Chapitre attribue à M. de Sacconay, seigneur mansionnaire de Brindas, le bénéfice de conduire dans un fonds qu’il a acquis depuis 3 ou 4 ans (pour le prix d’un denier) l’eau en provenance de la Fontaine du Buyat. Cette source située au bas du chemin du Morillon était proche de l’intersection des Chemin du Moncel et de la Grande Pierre et semblait être utilisée librement par les habitants des environs. Six mois plus tard (le 5 janvier 1612) le même chapitre conforte et renforce ce bénéfice et spécifie que l’eau de la fontaine lui sera « expédiée purement et simplement, sans aucune condition ni réserve du droit d’autruy ». Nous pouvons imaginer sans peine que la décision de juin 1641 avait soulevé quelques protestations de la part des usagers lésés.

L’histoire de la mare des Terreaux

Le Terreau (ou les terreaux) désigne dans notre région des fossés comblés de terre. À Brindas, ce terme était utilisé à la fin du 16e siècle, au moment où l’on reconstruisait le château à la place d’un ancien château fort et où l’on comblait les anciens fossés féodaux.

Ces terreaux caractérisaient dans les documents conservés aux archives municipales, d’une part un passage situé entre les propriétés Mathieu et Declérieux et l’Eglise, et d’autre part, la mare située du côté est de l’abside de l’Eglise.

La mare permettait l’abreuvage des bêtes, l’arrosage des prés, et même (au début du 20e siècle) de la vigne. Elle fut comblée en 1912, ce qui a permis à Mathieu (propriétaire) de faire procéder aux travaux de réalisation d’une fosse couverte de 18m3.

Ces travaux étaient motivés par des craintes de maladies et d’épidémie pour les enfants de l’école de garçons ! Ils furent réalisés sous la responsabilité du maire Paul Guigou, par un entrepreneur de Brindas Marius Laville pour 1.102 F. En contrepartie de l’abandon des droits qu’il possédait sur cette pièce d’eau, Mathieu se réservait la jouissance des eaux . Comme on le constate dans cette affaire les intérêts généraux et particuliers ont pu s’accommoder sans qu’aucune des parties ne puisse se considérer comme désavantagée. Autre temps, autres relations !

La Fontaine publique, place de Verdun
La Fontaine publique, place de Verdun

Un projet collectif : la fontaine publique

De tout temps un puits a existé proche du château, utilisé par les abreuvoirs au Moyen-Age, puis par les habitants du centre du village plus tard. La mauvaise situation (sur le milieu de la rue du Vieux Bourg près de la bibliothèque et de la maison d’angle de la place) par rapport au chemin reliant Craponne à Malataverne a posé des problèmes sérieux.

L’élargissement de la route (1800) entraîna la suppression du puits en 1816, confirmé par arrêt préfectoral en 1860. Mais les habitants du secteur étaient mécontents de cette privation considérée comme illégitime, et le projet d’une pompe publique germa et se concrétisa en 1862.

Le financement fut assuré par une souscription volontaire et publique qui recueillit 1.158 F de la part de 80 citoyens. Les dons allaient de 2 à 100 F (de 1862) en provenance d’ancêtres de familles comme Perrachon, Benoît, Chazottier, Bonjour, Mathieu, Pecollet ou Murat. Cette pompe publique fut inaugurée en 1862 et en 1898 l’installation de l’éclairage public au gaz la gratifia sur son sommet d’une flamme qui ne resta en place que dix ans et disparut avec l’éclairage électrique.

1913 fut l’année d’un nouveau creusement de la citerne et de l’installation d’une pompe nouvelle, dont les travaux coûtèrent plus cher que l’édification initiale soit : 1.474 F.

Chaque habitant , en 1984, peut constater que les objectifs de l’époque étaient d’abord fonctionnels et utilitaires, l’esthétique venant au second rang ! Quoiqu’ il en soit, cet édifice qui fait partie intégrante du paysage brindasien a sûrement rendu des services importants aux habitants, – et peut-être bien plus aux habitantes – de notre village, avant que l’eau courante n’arrive dans chaque foyer.

Cette époque n’est pas si éloignée ! Il y a à peine 57 ans ! Et nous pensons que beaucoup d’anciens s’en souviennent encore.

Menacée de démolition après avoir été ébranlée par un camion en 1981, la Fontaine Publique a été restaurée et agrémentée en 1984 par décision de la Municipalité et concertation avec « Le Vieux Brindas »

Puits ancien en pleine verchère
Puits ancien en pleine verchère